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Read Ebook: Voyage en Espagne by Gautier Th Ophile

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Ebook has 371 lines and 124772 words, and 8 pages

VOYAGE EN ESPAGNE

PAR

TH?OPHILE GAUTIER

NOUVELLE ?DITION REVUE ET CORRIG?E

PARIS

CHARPENTIER, LIBRAIRE-?DITEUR

MON AMI ET COMPAGNON DE VOYAGE

EUG?NE PIOT

CE LIVRE EST D?DI?

TH?OPHILE GAUTIER

Il y a quelques semaines , j'avais laiss? tomber n?gligemment cette phrase: <> Au bout de cinq ou six jours, mes amis avaient ?t? le prudent conditionnel dont j'avais mitig? mon d?sir et r?p?taient ? qui voulait l'entendre que j'allais faire un voyage en Espagne. ? cette formule positive succ?da l'interrogation: <> Je r?pondis, sans savoir ? quoi je m'engageais: <> Les huit jours pass?s, les gens manifestaient un ?tonnement de me voir encore ? Paris. <> demandait l'autre. Je compris alors que je devais ? mes amis une absence de plusieurs mois, et qu'il fallait acquitter cette dette au plus vite, sous peine d'?tre harcel? sans r?pit par ces cr?anciers officieux; le foyer des th??tres, les divers asphaltes et bitumes ?lastiques des boulevards m'?taient interdits jusqu'? nouvel ordre: tout ce que je pus obtenir fut un d?lai de trois ou quatre jours, et le 5 mai je commen?ai ? d?barrasser ma patrie de ma pr?sence importune, en grimpant dans la voiture de Bordeaux.

Je glisserai tr?s l?g?rement sur les premi?res postes, qui n'offrent rien de curieux. ? droite et ? gauche s'?tendent toutes sortes de cultures tigr?es et z?br?es qui ressemblent parfaitement ? ces cartes de tailleurs o? sont coll?s les ?chantillons de pantalons et de gilets. Ces perspectives font les d?lices des agronomes, des propri?taires et autres bourgeois, mais offrent une maigre p?ture au voyageur enthousiaste et descriptif qui, la lorgnette en main, s'en va prendre le signalement de l'univers. ?tant parti le soir, mes premiers souvenirs, ? dater de Versailles, ne sont que de faibles ?bauches estomp?es par la nuit. Je regrette d'avoir pass? par Chartres sans avoir pu voir la cath?drale.

Ch?tellerault, qui jouit d'une grande r?putation sous le rapport de la coutellerie, n'a rien de particulier qu'un pont avec des tours anciennes ? chaque bout, qui font un effet f?odal et romantique le plus charmant du monde. Quant ? sa manufacture d'armes, c'est une grande masse blanche avec une multitude de fen?tres. De Poitiers, je n'en puis rien dire, l'ayant travers? par une pluie battante et une nuit plus noire qu'un four, sinon que son pav? est parfaitement ex?crable.

Quand le jour revint, la voiture parcourait un pays bois? d'arbres vert-pomme plant?s dans une terre du rouge le plus vif; cela faisait un effet tr?s-singulier: les maisons ?taient couvertes de toits en tuiles creuses ? l'italienne avec des cannelures; ces tuiles ?taient aussi d'un rouge ?clatant, couleur ?trange pour des yeux accoutum?s aux tons de bistre et de suie des toitures parisiennes. Par une bizarrerie dont le motif m'?chappe, les constructeurs du pays commencent les maisons par les toits; les murs et les fondations viennent ensuite. L'on pose la charpente sur quatre forts madriers, et les couvreurs font leur besogne avant les ma?ons.

C'est vers cet endroit que commence cette longue orgie de pierres de taille qui ne s'arr?te qu'? Bordeaux; la moindre masure sans porte ni fen?tre est en pierres de taille, les murs des jardins sont form?s de gros blocs superpos?s ? sec; le long de la route, ? c?t? des portes, vous voyez d'?normes tas de pierres superbes avec lesquelles il serait facile de b?tir ? peu de frais des Chenonceaux et des Alhambras; mais les habitants se contentent de les entasser carr?ment et de recouvrir le tout d'un couvercle de tuiles rouges ou jaunes dont les d?coupures contrari?es forment un feston d'un effet assez gracieux.

Angoul?me, ville bizarrement juch?e sur un coteau fort roide au pied duquel la Charente fait babiller deux ou trois moulins, est b?tie dans ce syst?me; elle a une esp?ce de faux air italien, augment? encore par les massifs d'arbres qui couronnent ses escarpements et un grand pin ?vas? en parasol comme ceux des villas romaines. Une vieille tour, qui, si ma m?moire est fid?le, est surmont?e d'un t?l?graphe , donne de la s?v?rit? ? l'aspect g?n?ral et fait tenir ? la ville une assez bonne place sur le bord de l'horizon. En gravissant la mont?e, je remarquai une maison barbouill?e ext?rieurement de fresques grossi?res repr?sentant quelque chose comme Neptune, Bacchus ou peut-?tre Napol?on. Le peintre ayant n?glig? de mettre le nom ? c?t?, toutes suppositions sont permises et peuvent se d?fendre.

Jusque-l?, j'avoue qu'une excursion ? Romainville ou ? Pantin e?t ?t? tout aussi pittoresque; rien de plus plat, de plus nul, de plus insipide que ces interminables lani?res de terrain, pareilles ? ces bandelettes au moyen desquelles les lithographes renferment les boulevards de Paris dans une m?me feuille de papier. Des haies d'aub?pine et des ormes rachitiques, des ormes rachitiques et des haies d'aub?pine, et plus loin, quelque file de peupliers, plumets verts piqu?s dans une terre plate, ou quelque saule au tronc difforme, ? la perruque enfarin?e, voil? pour le paysage; pour figure, quelque pionnier ou cantonnier, h?l? comme un More d'Afrique, qui vous regarde passer la main appuy?e sur le manche de son marteau, ou bien quelque pauvre soldat qui regagne son corps, suant et chancelant sous le harnais. Mais au del? d'Angoul?me, la physionomie du terrain change, et l'on commence ? comprendre qu'on est ? une certaine distance de la banlieue.

En sortant du d?partement de la Charente, on rencontre la premi?re lande: ce sont d'immenses nappes de terre grise, violette, bleu?tre, avec des ondulations plus ou moins prononc?es. Une mousse courte et rare, des bruy?res d'un ton roux et des gen?ts rabougris forment toute la v?g?tation. C'est la tristesse de la Th?ba?de ?gyptienne, et ? chaque minute l'on s'attend ? voir d?filer des dromadaires et des chameaux; on ne dirait pas que l'homme ait jamais pass? par l?.

Une noce qui se faisait dans une auberge me fournit l'occasion de voir ensemble quelques naturels du pays; car, dans un espace de plus de cent lieues, je n'avais pas aper?u dix personnes. Ces naturels sont fort laids, les femmes surtout; il n'y a aucune diff?rence entre les jeunes et les vieilles: une paysanne de vingt-cinq ans ou une de soixante sont ?galement fl?tries et rid?es. Les petites filles ont des bonnets aussi d?velopp?s que ceux de leurs grand'm?res, ce qui leur donne l'air de ces gamins turcs ? t?te ?norme et ? corps fluet des pochades de Decamps. Dans l'?curie de cette auberge je vis un monstrueux bouc noir, avec d'immenses cornes en spirale, des yeux jaunes et flamboyants, qui avait un air hyperdiabolique, et aurait fait au moyen ?ge un digne pr?sident de sabbat.

Le jour baissait quand on arriva ? Cubzac. Autrefois l'on passait la Dordogne dans un bac; la largeur et la rapidit? de ce fleuve rendaient la travers?e dangereuse, maintenant le bac est remplac? par un pont suspendu de la plus grande hardiesse: l'on sait que je ne suis pas tr?s-grand admirateur des inventions modernes, mais c'est r?ellement un ouvrage digne de l'?gypte et de Rome pour ses dimensions colossales et son aspect grandiose. Des jet?es form?es par une suite d'arches dont la hauteur s'?l?ve progressivement vous conduisent jusqu'au tablier suspendu. Les vaisseaux peuvent passer dessous ? toutes voiles comme entre les jambes du colosse de Rhodes. Des esp?ces de tours en fonte fenestr?e, pour les rendre plus l?g?res, servent de chevalets aux fils de fer qui se croisent avec une sym?trie de r?sistance habilement calcul?e; ces c?bles se dessinent dans le ciel avec une t?nuit? et une d?licatesse de fil d'araign?e, qui ajoutent encore au merveilleux de la construction. Deux ob?lisques de fonte sont pos?s ? chaque bout comme au p?ristyle d'un monument th?bain, et cet ornement n'est pas d?plac? l?, car le gigantesque g?nie architectural des Pharaons ne d?savouerait pas le pont de Cubzac. Il faut treize minutes, montre en main, pour le traverser.

? la descente de voiture on est assailli par une foule de commissionnaires qui se distribuent vos effets et se mettent une vingtaine pour porter une paire de bottes: ceci n'a rien que d'ordinaire; mais ce qui est plus dr?le, ce sont des esp?ces d'argousins apost?s en vedette par les ma?tres des h?tels pour happer le voyageur au passage. Toute cette canaille s'?gosille ? d?biter en charabia des kyrielles d'?loges et d'injures: l'un vous prend par le bras, l'autre par la jambe, celui-l? par la queue de votre habit, celui-ci par le bouton de votre paletot: <> Chacun cherche ? vous d?go?ter des ?tablissements rivaux, et ce cort?ge ne vous quitte que lorsque vous ?tes entr? d?finitivement dans un h?tel quelconque. Alors ils se querellent entre eux, se donnent des gourmades et s'appellent brigands et voleurs, et autres injures tout ? fait vraisemblables, puis ils se mettent en toute h?te ? la poursuite d'une autre proie.

Bordeaux a beaucoup de ressemblance avec Versailles pour le go?t des b?timents: on voit qu'on a ?t? pr?occup? de cette id?e de d?passer Paris on grandeur; les rues sont plus larges, les maisons plus vastes, tas appartements plus hauts. Le th??tre a des dimensions ?normes; c'est l'Od?on fondu dans la Bourse. Mais les habitants ont de la peine ? remplir leur ville; ils font tout ce qu'ils peuvent pour para?tre nombreux, mais toute leur turbulence m?ridionale ne suffit pas ? meubler ces b?tisses disproportionn?es; ces hautes fen?tres ont rarement des rideaux, et l'herbe cro?t m?lancoliquement dans les immenses cours. Ce qui anime la ville, ce sont les grisettes et les femmes du peuple, elles sont r?ellement tr?s-jolies: presque toutes ont le nez droit, les joues sans pommettes, de grands yeux noirs dans un ovale p?le d'un effet charmant. Leur coiffure est tr?s-originale; elle se compose d'un madras de couleurs ?clatantes, pos? ? la fa?on des cr?oles, tr?s en arri?re, et contenant les cheveux qui tombent assez bas sur la nuque; le reste de l'ajustement consiste en un grand ch?le droit qui va jusqu'aux talons, et une robe d'indienne ? longs plis. Ces femmes ont la d?marche alerte et vive, la taille souple et cambr?e, naturellement fine. Elles portent sur leur t?te les paniers, les paquets et les cruches d'eau qui, par parenth?se, sont d'une forme tr?s-?l?gante. Avec leur amphore sur la t?te, leur costume ? plis droits, on les prendrait pour des filles grecques et des princesses Nausicaa allant ? la fontaine.

La cath?drale, construite par les Anglais, est assez belle; le portail renferme des statues d'?v?ques de grandeur naturelle, d'une ex?cution beaucoup plus vraie et plus ?tudi?e que les statues gothiques ordinaires, qui sont trait?es en arabesque et compl?tement sacrifi?es aux exigences de l'architecture. En visitant l'?glise, j'aper?us, pos?e contre le mur, la magnifique copie du Christ flagell? de Riesener, d'apr?s Titien, elle attendait un cadre. De la cath?drale, nous nous rend?mes, mon compagnon et moi, ? la tour Saint-Michel, o? se trouve un caveau qui a la propri?t? de momifier les corps qu'on y d?pose.

Le dernier ?tage de la tour est occup? par le gardien et sa famille qui font leur cuisine ? l'entr?e du caveau et vivent l? dans la familiarit? la plus intime avec leurs affreux voisins; l'homme prit une lanterne, et nous descend?mes par un escalier en spirale, aux marches us?es, dans la salle fun?bre. Les morts, au nombre de quarante environ, sont rang?s debout autour du caveau et adoss?s contre la muraille; cette attitude perpendiculaire, qui contraste avec l'horizontalit? habituelle des cadavres, leur donne une apparence de vie fantasmatique tr?s effrayante, surtout ? la lumi?re jaune et tremblante de la lanterne qui oscille dans la main du guide et d?place les ombres d'un instant ? l'autre.

L'imagination des po?tes et des peintres n'a jamais produit de cauchemar plus horrible; les caprices les plus monstrueux de Goya, les d?lires de Louis Boulanger, les diableries de Callot et de Teniers ne sont rien ? c?t? de cela, et tous les faiseurs de ballades fantastiques sont d?pass?s. Il n'est jamais sorti de la nuit allemande de plus abominables spectres; ils sont dignes de figurer au sabbat du Brocken avec les sorci?res de Faust.

Ce sont des figures contourn?es, grima?antes, des cr?nes ? demi pel?s, des flancs entr'ouverts, qui laissent voir, ? travers le grillage des c?tes, des poumons dess?ch?s et fl?tris comme des ?ponges: ici la chair s'est r?duite en poudre et l'os perce; l?, n'?tant plus soutenue par les fibres du tissu cellulaire, la peau parchemin?e flotte autour du squelette comme un second suaire; aucune de ces t?tes n'a le calme impassible que la mort imprime comme un cachet supr?me ? tous ceux qu'elle touche; les bouches b?illent affreusement comme si elles ?taient contract?es par l'incommensurable ennui de l'?ternit?, ou ricanent de ce rire sardonique du n?ant qui se moque de la vie; les m?choires sont disloqu?es, les muscles du cou gonfl?s; les poings se crispent furieusement; les ?pines dorsales se cambrent avec des torsions d?sesp?r?es. On dirait qu'ils sont irrit?s d'avoir ?t? tir?s de leurs tombes et troubl?s dans leur sommeil par la curiosit? profane.

Le gardien nous montra un g?n?ral tu? en duel,--la blessure, large bouche aux l?vres bleues qui rit ? son c?t?, se distingue parfaitement,--un portefaix qui expira subitement en levant un poids ?norme, une n?gresse qui n'est pas beaucoup plus noire que les blanches plac?es pr?s d'elle, une femme qui a encore toutes ses dents et la langue presque fra?che, puis une famille empoisonn?e par des champignons, et, pour supr?me horreur, un petit gar?on qui, selon toute apparence, doit avoir ?t? enterr? vivant.

Cette figure est sublime de douleur et de d?sespoir; jamais l'expression de la souffrance humaine n'a ?t? port?e plus loin: les ongles s'enfoncent dans la paume des mains; les nerfs sont tendus comme des cordes de violon sur le chevalet; les genoux font des angles convulsifs; la t?te se rejette violemment en arri?re; le pauvre petit, par un effort inou?, s'est retourn? dans son cercueil.

L'endroit o? ces morts sont r?unis est un caveau ? vo?te surbaiss?e; le sol, d'une ?lasticit? suspecte, est compos? d'un d?tritus humain de quinze pieds de profondeur. Au milieu s'?l?ve une pyramide de d?bris plus ou moins bien conserv?s; ces momies exhalent une odeur fade et poussi?reuse, plus d?sagr?able que les ?cres parfums du bitume et du natrum ?gyptien; il y en a qui sont l? depuis deux ou trois cents ans, d'autres depuis soixante ans seulement; la toile de leur chemise ou de leur suaire est encore assez bien conserv?e.

Le mus?e, situ? dans le magnifique h?tel de la mairie, renferme une belle collection de pl?tres et un grand nombre de tableaux remarquables, entre autres deux petits cadres de B?ga qui sont deux perles inestimables: c'est la chaleur et la libert? d'Adrien Brauwer avec la finesse et le pr?cieux de Teniers; il y a aussi des Ostade d'une grande d?licatesse, des Tiepolo du go?t le plus baroque et le plus fantastique, des Jordaens, des Van Dyck et un tableau gothique qui doit ?tre du Ghirlandajo ou du Fiesole: le mus?e de Paris ne poss?de rien en fait d'art du moyen ?ge qui vaille cette peinture; seulement il est impossible d'accrocher des tableaux avec moins de go?t et de discernement; les meilleures places sont occup?es par d'?normes cro?tes de l'?cole moderne du temps de Gu?rin et de L?thiers.

BAYONNE.--LA CONTREBANDE HUMAINE.

Nous pass?mes ? Dax au milieu de la nuit et travers?mes l'Adour par un temps affreux, une pluie battante et une bise ? d?corner les boeufs. Plus nous avancions vers les pays chauds, plus le froid devenait aigre et piquant; si nous n'avions pas eu nos manteaux, nous aurions eu le nez et les pieds gel?s comme les soldats de la grande arm?e ? la campagne de Russie.

Lorsque le jour parut, nous ?tions encore dans les landes; mais les pins ?taient entrem?l?s de li?ges, arbres que je m'?tais toujours repr?sent?s sous la forme de bouchons, et qui sont en effet des arbres ?normes qui tiennent ? la fois du ch?ne et du caroubier pour la bizarrerie de l'attitude, la difformit? et la rugosit? des branches. Des esp?ces d'?tangs d'eau saum?tre et de couleur plomb?e s'?tendaient de chaque c?t? de la route; un air salin nous arrivait par bouff?es; je ne sais quelle rumeur vague bourdonnait ? l'horizon. Enfin une silhouette bleu?tre se d?coupa sur le fond p?le du ciel: c'?tait la cha?ne des Pyr?n?es. Quelques instants apr?s, une ligne d'azur, presque invisible, signature de l'Oc?an, nous annon?a que nous ?tions arriv?s. Bayonne ne tarda pas ? nous appara?tre sous la forme d'un tas de tuiles ?cras?es avec un clocher gauche et trapu; nous ne voulons pas dire de mal de Bayonne, attendu qu'une ville que l'on voit par la pluie est naturellement affreuse. Le port n'?tait pas tr?s rempli; quelques rares bateaux pont?s fl?naient le long des quais d?serts avec un air de nonchalance et de d?soeuvrement admirable; les arbres qui forment la promenade sont tr?s beaux et mod?rent un peu l'aust?rit? de toutes les lignes droites produites par les fortifications et les parapets. Quant ? l'?glise, elle est badigeonn?e en jaune-serin et en ventre de biche; elle n'a de remarquable qu'une esp?ce de baldaquin en damas rouge, et quelques tableaux de L?pici? et autres peintres dans le go?t de Vanloo.

LE ZAGAL ET LES ESCOPETEROS.--IRUN.--LES PETITS MENDIANTS.--ASTIGARRAGA.

Avant de partir, il fallut encore faire viser nos passeports, d?j? passablement chamarr?s. Pendant cette importante op?ration, nous e?mes le temps de jeter un coup d'oeil sur la population d'Irun qui n'a rien de particulier, sinon que les femmes portent leurs cheveux, remarquablement longs, r?unis en une seule tresse qui leur pend jusqu'aux reins; les souliers y sont rares et les bas encore plus.

Un bruit ?trange, inexplicable, enrou?, effrayant et risible, me pr?occupait l'oreille depuis quelque temps; on e?t dit une multitude de geais plum?s vifs, d'enfants fouett?s, de chats en amour, de scies s'aga?ant les dents sur une pierre dure, de chaudrons r?cl?s, de gonds de prison roulant sur la rouille et forc?s de l?cher leur prisonnier; je croyais tout au moins que c'?tait une princesse ?gorg?e par un n?gromant farouche; ce n'?tait rien qu'un char ? boeufs qui montait la rue d'Irun, et dont les roues miaulaient affreusement faute d'?tre suiff?es, le conducteur aimant mieux sans doute mettre la graisse dans sa soupe. Ce char n'avait assur?ment rien que de fort primitif; les roues ?taient pleines et tournaient avec l'essieu, comme dans les petits chariots que font les enfants avec de l'?corce de potiron. Ce bruit s'entend d'une demi-lieue, et ne d?pla?t pas aux naturels du pays. Ils ont ainsi un instrument de musique qui ne leur co?te rien et qui joue de lui-m?me, tout seul, tant que la route dure. Cela leur semble aussi harmonieux qu'? nous des exercices de violoniste sur la quatri?me corde. Un paysan ne voudrait pas d'un char qui ne chanterait pas: ce v?hicule doit dater du d?luge.

Comme la mont?e est rude, j'allai jusqu'? la porte de la ville, et, me retournant, je jetai un regard d'adieu ? la France; c'?tait un spectacle vraiment magnifique: la cha?ne des Pyr?n?es s'abaissait en ondulations harmonieuses vers la nappe bleue de la mer, coup?e ?? et l? par quelques barres d'argent, et, gr?ce ? l'extr?me limpidit? de l'air, on apercevait loin, bien loin, une faible ligne couleur saumon p?le, qui s'avan?ait dans l'incommensurable azur et formait une vaste ?chancrure au flanc de la c?te. Bayonne et sa sentinelle avanc?e, Biaritz, occupaient le bout de cette pointe, et le golfe de Gascogne se dessinait aussi nettement que sur une carte de g?ographie; ? partir de l? nous ne verrons plus la mer que lorsque nous serons en Andalousie. Bonsoir, brave Oc?an!

La voiture montait et descendait au grand galop des pentes d'une rapidit? extr?me; exercices sans balancier sur le chemin roide, qui ne peuvent s'ex?cuter que gr?ce ? la prodigieuse adresse des conducteurs et ? l'extraordinaire s?ret? du pied des mules. Malgr? cette v?locit?, il nous tombait de temps en temps sur les genoux une branche de laurier, un petit bouquet de fleurs sauvages, un collier de fraises de montagnes, perles roses enfil?es dans un brin d'herbe. Ces bouquets ?taient lanc?s par de petits mendiants, filles et gar?ons, qui suivaient la voiture en courant pieds nus sur les pierres tranchantes: cette mani?re de demander l'aum?ne en faisant d'abord un cadeau soi-m?me a quelque chose de noble et de po?tique.

Le paysage ?tait charmant, un peu suisse peut-?tre, et d'une grande vari?t? d'aspect. Des croupes de montagnes dont les interstices laissaient voir des cha?nes plus ?lev?es, s'arrondissaient de chaque c?t? de la route; leurs flancs gaufr?s de diff?rentes cultures, bois?s de ch?nes verts, formaient un vigoureux repoussoir pour les cimes ?loign?es et vaporeuses; des villages avec leurs toits de tuiles rouges s'?panouissaient aux pieds des montagnes dans des massifs d'arbres, et je m'attendais ? chaque instant ? voir sortir Kettly ou Gretly de ces nouveaux chalets. Heureusement l'Espagne ne pousse pas l'op?ra-comique jusque-l?.

Des torrents capricieux comme des femmes vont et viennent, forment des cascatelles, se divisent, se rejoignent ? travers les rochers et les cailloux de la mani?re la plus divertissante, et servent de pr?texte ? une multitude de ponts les plus pittoresques du monde. Ces ponts multipli?s ? l'infini ont un caract?re singulier; les arches sont ?chancr?es presque jusqu'au garde-fou, en sorte que la chauss?e sur laquelle passe la voiture semble ne pas avoir plus de six pouces d'?paisseur; une esp?ce de pile triangulaire et formant bastion occupe ordinairement le milieu. Ce n'est pas un ?tat bien fatigant que celui de pont espagnol, il n'y a pas de sin?cure plus parfaite: on peut se promener dessous les trois quarts de l'ann?e; ils restent l? avec un flegme imperturbable et une patience digne d'un meilleur sort, attendant une rivi?re, un filet d'eau, un peu d'humidit? seulement; car ils sentent bien que leurs arches ne sont que des arcades, et que leur titre de pont est une pure flatterie. Les torrents dont j'ai parl? tout ? l'heure ont tout au plus quatre ? cinq pouces d'eau; mais ils suffisent pour faire beaucoup de bruit et servent ? donner de la vie aux solitudes qu'ils parcourent. De loin en loin, ils font tourner quelque moulin ou quelque usine au moyen d'?cluses b?ties ? souhait pour les paysagistes; les maisons, dispers?es dans la campagne par petits groupes, ont une couleur ?trange; elles ne sont ni noires, ni blanches, ni jaunes, elles sont couleur de dindes r?ties: cette d?finition, pour ?tre triviale et culinaire, n'en est pas moins d'une v?rit? frappante. Des bouquets d'arbres et des plaques de ch?nes verts rel?vent heureusement les grandes lignes et les teintes vaporeusement s?v?res des montagnes. Nous insistons beaucoup sur ces arbres, parce que rien n'est plus rare en Espagne, et que d?sormais nous n'aurons gu?re occasion d'en d?crire.

Profitant du peu de jour qui nous restait, nous all?mes visiter l'?glise qui, ? vrai dire, avait plut?t l'air d'une forteresse que d'un temple: la petitesse des fen?tres perc?es en meurtri?res, l'?paisseur des murs, la solidit? des contre-forts lui donnaient une attitude robuste et carr?e, plus guerri?re que pensive. Cette forme se reproduit souvent dans les ?glises d'Espagne. Tout autour r?gnait une esp?ce de clo?tre ouvert, dans lequel ?tait suspendue une cloche d'une forte dimension qu'on fait sonner en agitant le battant avec une corde, au lieu de donner la vol?e ? l'?norme capsule de m?tal.

L'on sert d'abord une soupe grasse, qui diff?re de la n?tre en ce qu'elle a une teinte rouge?tre qu'elle doit au safran, dont on la saupoudre pour lui donner du ton. Voil?, pour le coup, de la couleur locale, de la soupe rouge! Le pain est tr?s-blanc, tr?s-serr?, avec une cro?te lisse et l?g?rement dor?e; il est sal? d'une mani?re sensible aux palais parisiens. Les fourchettes ont la queue renvers?e en arri?re, les pointes plates et taill?es en dents de peigne; les cuillers ont aussi une apparence de spatule que n'a pas notre argenterie. Le linge est une esp?ce de damas ? gros grains. Quant au vin, nous devons avouer qu'il ?tait du plus beau violet d'?v?que qu'on puisse voir, ?pais ? couper au couteau, et les carafes o? il ?tait renferm? ne lui donnaient aucune transparence.

Nous part?mes d'Astigarraga au milieu de la nuit; comme il ne faisait pas clair de lune, il se trouve naturellement une lacune dans notre r?cit. Nous pass?mes ? Ernani, bourg dont le nom ?veille les souvenirs les plus romantiques, sans y rien apercevoir que des tas de masures et de d?combres vaguement ?bauch?s dans l'obscurit?. Nous travers?mes, sans nous y arr?ter, Tolosa, o? nous remarqu?mes des maisons orn?es de fresques et de gigantesques blasons sculpt?s en pierre: c'?tait jour de march?, et la place ?tait couverte d'?nes, de mulets pittoresquement harnach?s, et de paysans ? mines singuli?res et farouches.

VERGARA.--VITTORIA; LE BAILE NACIONAL ET LES HERCULES FRAN?AIS.--LE PASSAGE DE PANCOBBO.--LES ?NES ET LES L?VRIERS.--BURGOS.--UNE FONDA ESPAGNOLE.--LES GAL?RIENS EN MANTEAU.--LA CATH?DRALE.--LE COFFRE DU CID.

? Vergara, qui est l'endroit o? fut conclu le trait? entre Espartero et Maroto, j'aper?us pour la premi?re fois un pr?tre espagnol. Son aspect me parut assez grotesque, quoique je n'aie, Dieu merci, aucune id?e voltairienne ? l'endroit du clerg?; mais la caricature du Basile de Beaumarchais me revint involontairement en m?moire. Figurez-vous une soutane noire, le manteau de m?me couleur, et, pour couronner le tout un immense, un prodigieux, un ph?nom?nal, un hyperbolique et titanique chapeau, dont aucune ?pith?te, pour boursoufl?e et gigantesque qu'elle soit, ne peut donner m?me une l?g?re id?e approximative. Ce chapeau a pour le moins trois pieds de long; les bords sont roul?s en dessus, et font devant et derri?re la t?te une esp?ce de toit horizontal. Il est difficile d'inventer une forme plus baroque et plus fantastique: cela n'emp?chait pas, en somme, le digne pr?tre d'avoir la mine fort respectable et de se promener avec l'air d'un homme qui a la conscience parfaitement tranquille sur la forme de sa coiffure; au lieu de rabat il portait un petit collet bleu et blanc comme les pr?tres de Belgique.

Du haut de cette montagne on voit se d?rouler, si l'on regarde derri?re soi, en perspectives infinies, les diff?rents ?tages de la cha?ne des Pyr?n?es; on dirait d'immenses draperies de velours ?pingl? jet?es l? au hasard et chiffonn?es en plis bizarres par le caprice d'un Titan. ? Royave, qui est un peu plus loin, je remarquai un magique effet de lumi?re. Une cr?te neigeuse , que les montagnes trop rapproch?es nous avaient voil?e jusque-l?, apparut tout ? coup, se d?tachant sur un ciel d'un bleu lapis si fonc? qu'il ?tait presque noir. Bient?t, ? tous les bords du plateau que nous traversions, d'autres montagnes lev?rent curieusement leurs t?tes charg?es de neige et baign?es de nuages. Cette neige n'?tait pas compacte, mais divis?e en minces filons, comme les c?tes d'argent d'une gaze lam?e, ce qui augmentait sa blancheur par le contraste avec les teintes d'azur et de lilas des escarpements. Le froid ?tait assez vif et augmentait d'intensit? ? mesure que nous avancions. Le vent ne s'?tait gu?re r?chauff? ? caresser les joues p?les de ces belles vierges frileuses, et nous arrivait aussi glacial que s'il f?t venu en droite ligne du p?le arctique ou antarctique. Nous nous envelopp?mes le plus herm?tiquement possible dans nos manteaux, car il est extr?mement honteux d'avoir le nez gel? dans un pays torride; grill?, passe encore.

Nous esp?rions trouver l? le type espagnol f?minin, dont nous n'avions encore eu que peu d'exemples; mais les femmes qui garnissaient les loges et les galeries n'avaient d'espagnol que la mantille et l'?ventail: c'?tait d?j? beaucoup, mais ce n'?tait pas assez cependant. Le public se composait g?n?ralement de militaires, ainsi que dans toutes les villes o? il y a garnison. On se tient debout au parterre, comme dans les th??tres tout ? fait primitifs. Pour ressembler au th??tre de l'h?tel de Bourgogne, il ne manquait vraiment ? celui-ci qu'une rang?e de chandelles et un moucheur; mais les verres des quinquets ?taient faits avec des lamelles dispos?es en c?tes de melon et r?unies en haut par un cercle de fer-blanc, ce qui n'est pas d'une industrie bien avanc?e. L'orchestre, compos? d'une seule file de musiciens, presque tous jouant d'instruments de cuivre, soufflait vaillamment dans les cornets ? piston une ritournelle toujours la m?me, et rappelant la fanfare de Franconi.

Tout le temps que la danse dura, ils ne lev?rent pas une fois les yeux l'un sur l'autre; on e?t dit qu'ils avaient peur de leur laideur r?ciproque, et qu'ils craignaient de fondre en larmes en se voyant si vieux, si d?cr?pits et si fun?bres. L'homme, surtout, fuyait sa compagne comme une araign?e, et semblait frissonner d'horreur dans sa vieille peau parchemin?e, toutes les fois qu'une figure de la danse le for?ait de s'en rapprocher. Ce bol?ro-macabre dura cinq ou six minutes, apr?s quoi la toile tombant mit fin au supplice de ces deux malheureux... et au n?tre.

Voil? comme le bol?ro apparut ? deux pauvres voyageurs ?pris de couleur locale. Les danses espagnoles n'existent qu'? Paris, comme les coquillages, qu'on ne trouve que chez les marchands de curiosit?s, et jamais sur le bord de la mer. ? Fanny Elssler! qui ?tes maintenant en Am?rique chez les sauvages, m?me avant d'aller en Espagne nous nous doutions bien que c'?tait vous qui aviez invent? la cachucha!

Nous nous all?mes coucher assez d?sappoint?s. Au milieu de la nuit, on nous vint ?veiller pour nous remettre en route; il faisait toujours un froid glacial, une temp?rature de Sib?rie, ce qui s'explique par la hauteur du plateau que nous traversions et les neiges dont nous ?tions entour?s. ? Miranda, l'on visita encore une fois nos malles, et nous entr?mes dans la Vieille-Castille , dans le royaume de Castille et L?on, symbolis? par un lion tenant un ?cu sem? de ch?teaux. Ces lions, r?p?t?s ? sati?t?, sont ordinairement en granit gris?tre et ont une prestance h?raldique assez imposante.

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